La lutte qui bafoue la dignité et la santé humaine
La deuxième édition des cours ouest-Africains sur les politiques publiques en matière de drogue et les droits de l’homme s’est tenue à la faculté de droits de l’Université de Legon à Accra au Ghana du 25 juillet au 1er Août 2015. L’occasion a été pour les Organisations de la société civile Ouest africaines d’être outillée en vue de lutter pour la préservation de la dignité et la santé du genre humain.
«La drogue est un mal et la communauté internationale a l’obligation morale d’œuvrer pour la combattre parce qu’elle représente un danger aux conséquences incalculables ». C’est ainsi que la convention des Nations Unies sur les Drogues de 1961 a fait le portrait de la production, la transformation, le transport et l’usage des drogues. Ainsi considérée, la guerre contre la drogue a été déclarée à travers le monde pour une élimination de ce « mal ». Plus de cinquante ans après la grande « guerre contre la drogue» initiée par l’Organisation des Nations-Unies, le marché noir s’est développé autour du produit prohibé. La drogue circule dans l’ombre, les hommes et femmes en font le trafic de par le monde. Et surtout, la consommation faite de façon incontrôlée devient de plus en plus grandissante. Les mécanismes de contrôle sont renforcés par les conventions des Nations Unies de 1971 et de 1988 sur les substances psychotiques et psycho tropique. Les dispositions viennent compléter la convention de 1961 et établissent des mesures répressives aussi bien contre les producteurs, les transporteurs que les consommateurs. La lutte est renforcée. Mais le produit interdit circule toujours et se fait cher dans le marché noir. Hommes, femmes et jeune sniffent, fument, ingèrent au quotidien la drogue de par le monde. De ce fait, de nombreux abus ont été notés dans la lutte contre la drogue. Des milliers de personnes sont tuées en Bolivie, au Guatemala, au Mexique et même au Bénin. Avec la mondialisation et ses corollaires, l ’Afrique de l’Ouest est devenueune plaque tournante de la drogue. Selon une étude réalisée par la Commission Ouest-africaine sur drogues publiée en juin 2014, la sous-région Ouest africaine est devenue non seulement un lieu de transit, mais aussi un marché de consommation et de production des drogues. Selon ce rapport, quand bien même le trafic et la consommation des drogues ne constituent pas un phénomène nouveau, les années 2000s ont connu ascension du fléau. Le produit est plus que jamais disponible et les saisies l’illustrent bien. Ce qui constitue une menace pour la sécurité de l’humain. Profitant de la faiblesse institutionnelle de certains des pays, les narcotrafiquants n’hésitent pas à financer les élections dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest. Ainsi les cartels de drogue ont gagné la confiance des politiques de ces pays. De ce fait, la lutte contre le trafic de drogue n’arrive pas aux cerveaux du trafic de drogue en Afrique de l’Ouest. La lutte s’est donc rabattue sur les petits dans les pays est désormais contre les menus fretins.
La guerre contre les menus fretins au Bénin
Dans la plupart des pays, la réglementation contre le trafic et la consommation des drogues et autres stupéfiants est établie en conformité avec l’esprit répressif de la convention des Nations-Unies sur le trafic de drogue de 1961. Au Bénin, la consommation de drogue demeure clandestine et concerne les jeunes de 15 à 48 ans selon une étude du Conseil Economique et Social du Bénin. Selon cette étude, il existe plusieurs types de consommateurs et de trafiquants de drogue. Le plus souvent le sommet des réseaux de trafic de drogue est difficilement identifiable quand bien même les mesures répressives ont été prévues aussi bien pour les trafiquants que pour les consommateurs. En 1997, la loi N° 97-025 du 18 juillet 1997 sur le contrôle des drogues et des précurseurs dispose : «Seront punis d’un emprisonnement de 10 à vingt ans et d’une amende de cinquante mille à cinq millions de Francs ou l’une de ces peines seulement, ceux qui auront contrevenu aux dispositions législatives et réglementaires concernant la culture la promotion, la fabrication, l’extraction, la préparation ou la transformation de drogues à haut-risque ». Cependant, la plupart du temps la police béninoise et l’Office Central de Répression du Trafic Illicite de Drogue (OCERTID) semblent s’attaquer seulement aux dealers et autres petits consommateurs de drogues et stupéfiants. Les efforts n’atteignent pas le plus souvent les gros bonnets et autres cartels de la drogue. Pendant les grandes célébrations, certains commissariats de police de Cotonou et d’Abomey-Calavi et autres régions du pays se contentent d’arrêter les consommateurs de drogues dans les milieux insalubres des quartiers Agontinkon, Zongo, Mènontin Zogbo. L’objectif ces dernières années est beaucoup plus d’assainir ces milieux à la veille des grandes célébrations telles que le nouvel an et la fête de l’indépendance. Pendant ce temps, la police nationale éprouve beaucoup de difficultés à neutraliser les malfrats qui sèment la terreur au sein des populations béninoises.
Des emprisonnements à l’antipode des principes des droits de l’homme.
Les personnes arrêtées sont le plus souvent brutalisées par les agents de police commis à cette tâche. Une chose qui viole l’article 18 de la constitution du Bénin. Selon cet article de la loi fondamentale, « nul ne sera soumis à la torture ni à des traitements cruels inhumains et dégradants ». Une fois dans les commissariats, les consommateurs de drogues arrêtés sont gardés à vue au-delà des 48 heures prévues par la constitution béninoise. D’autres atteintes sont portées à la dignité des populations autochtones vivant dans ces ghettos. Elles sont filmées parfois par les caméras de chaînes de télévision du pays au grand dam du principe de présomption d’innocence reconnue par l’article 17 de la même constitution. Pour ce qui concerne les procès, les personnes sont détenues parfois sans un procès équitable à cause de la pénalisation de la consommation de drogue. Les peines sont données selon l’orientation donnée par la convention des Nations Unies de 1961. Ainsi de nombreux Béninois, coupables ou non sont incarcérés pendant des mois, voire des années. Une fois en prison, les consommateurs de drogues mélangés aux criminels commencent à développer des vices, (vol, viol, arnaque et autres crimes.) Certains incarcérés pour consommation de drogue deviennent des vendeurs de drogues et sortent encore plus dangereux que jamais. La prison les a formés.
La nécessité de considérer la consommation de drogue comme une question de santé publique.
Dans la plupart des pays ouest-africains y compris le Bénin, l’usage de la drogue est considéré comme une infraction qui mérite emprisonnement. A cet égard, aussi bien le pouvoir public que la société jette un regard accusateur sur le consommateur, il faut donc l’isoler. Et le meilleur endroit est la prison. Ainsi commence une stigmatisation. Dans ce milieu, avec la surpopulation carcérale les conditions de détention sont difficile, voire exécrables. Et pourtant, hommes et femmes sont entassés dans des cellules à faibles capacités où la lumière et l’oxygène sont parfois un luxe. Les pouvoirs publics donc, se font l’obligation de pourvoir aux besoins alimentaires de la population carcérale. Ce faisant, les consommateurs de drogue ont contribué à accroître le budget alloué à la restauration et l’entretien des détenus. Au final, quand les consommateurs de drogue sortent de prison, les vices développés les poussent à y retourner. Nous n’avons pas de statistiques au Bénin pour étayer ce fait mais aux Etats-Unis, 50% des consommateurs de drogue y retournent. En Australie, 84% des consommateurs de drogue retournent en prison pendant les deux années suivant leur libération. Au Bénin, du retour de prison, les consommateurs de drogue sont victimes de la stigmatisation sociale. Ils n’ont plus droit à un travail décent, à des opportunités pour contribuer au développement de la nation. Ils deviennent donc inutiles si non un fléau à bannir. Ce qui les pousse à retourner encore dans les milieux où ils seront plus acceptés et soutenus: la prison. L’orientation donnée aux conventions des Nations Unies sur la drogue des années 1961s, 1971 et de 1988 a laissé libre court à beaucoup de dérives et d’abus des droits de l’homme. L’intégrité humaine n’est plus respectée selon les principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ratifiée par les pays ouest-africains dont le Bénin. Eu égard aux dommages pour le tissu économique et social du pays, il serait judicieux que les acteurs chargés du contrôle des drogues ne perdent pas de vue les engagements sur le plan du respect des droits de l’homme. Les différents acteurs doivent alors s’approprier la déclaration du directeur exécutif de l’Organisation des Nations-Unies sur les Drogues et le Crime (ONUDC) « Il est important de réaffirmer l’esprit originel des conventions en se focalisant sur la santé humaine. Les conventions ne visent pas forcément une guerre contre la drogue mais plutôt la protection et le bien-être de l’humain.» Yury Fedotov, (2013-2014).
Par Gérald Setondji , Journaliste du quotidien ‘’Le Progrès ‘’, Benin
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